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Une île et des ailes.
19 avril 2013

" Sampiero/Shakespeare."

053

La vie de Sampiero de Bastelica est un roman.

 

Non pas un roman historique ou le tragique et le picaresque dévident à pleins écheveaux les fils de vermeils et les barbelés dont on tisse les légendes, mais un roman dans l’Histoire; mieux un roman de l’Histoire.

 Car l’homme appartient à cette race de héros impérieux,violents, déraisonnables dont les actes, plus égoïstes que clairvoyants, forgent la gloire tout en imprimant à l’Histoire ce lent, ce lourd, ce morne mouvement de balancier élargissant le cercle de ses ondes jusqu’à provoquer le chaos nécessaire à d’inévitables révolutions.

 Durant toute son existence, Sampiero poursuivit le masque d’un rêve dont ce colosse rude, écailleux, cuirassé ne pouvait imaginer qu’il fût plus grand que lui, un rêve qu’il manqua toucher du doigt comme on touche à une promesse sacrée, un impossible rêve, un rêve d’indépendance, un rêve de liberté qui le consuma bien plus surement que cette tragédie de l’absurde dans laquelle sombreraient ses dernières années.

 

 Une enfance Corse

 Issu d’une famille modeste mais de bon lignage- sa mère est une Cinarchese da Bozzi -Sampiero naît au pied du mont Renoso, dans l’un des hameaux du village de Bastelica, le 24 Mai 1498.

 Funeste présage, ce même jour, à Florence, Jérôme Savonarole, moine dément ou visionnaire, précurseur de la République Démocratique ou dictateur théocratique, jette ses derniers anathèmes parmi les flammes d’un bucher d’hérésie.

 De la petite enfance de celui que Brantôme, célèbre auteur des « Dames Galantes », qualifiera de « plus Corse des Corses », nous ne savons quasiment rien.

 On peut l’imaginer cette enfance au village, frustre et maquisarde, à moins qu’on ne la préfère légère et insoucieuse bercée par les soupirs des pommiers et les plaintes des châtaigniers .

Heureuse, probablement puisque toutes les enfances Corses le sont.

Quoiqu’il en soit, et puisqu’à toute tragédie il faut un tyran, rien n’interdit de penser que dés son plus le jeune âge le futur Condottiere se vit entretenir dans une suspicion légitime, un ressentiment amer envers cet office de Saint Georges, cette Gènes militaire et banquière dont le despotisme absolu s’étendait sur l’île depuis une trêve signée avec Pise en Juillet 1299.

 Car pour tout Corse de ce temps, le colon Génois bien qu’il eut apporté au pays un renouveau économique et urbain salutaire, n’en demeurait pas moins et avant tout, un usurpateur dont la légitimité sur une terre ne prétendant appartenir qu’à elle-même, se fondait sur l’imposture d’une mouvance de feu, de mitraille et de sang.

 

 Le Condottiere des Princes, le Prince des Condottieres.

 Dés l’âge de 14 ans, grossièrement formé au métier des armes, aventureux et aventurier, Sampiero s’en va chercher grandeur, honneurs et opulence (1) sur le continent.

 Naturellement ses pas le portent vers l’Italie ou du moins vers cette mosaïque confuse de Républiques Césaristes, de principautés marchandes, de Royaumes aux légitimités souvent douteuses qui composent une Italie furieusement dépourvue de système.

 La péninsule en ce début de XVIe Siècle évoque une cour des miracles hâbleuse et brouillonne au sein de laquelle le génie rayonnant des uns côtoie la folie meurtrière des autres, la sainteté tutoie le blasphème, la recherche forcenée d’un univers métaphysique se heurte à la violence jamais endiguée du réel, une terre à la dérive, parcellaire, déconstruite , n’acceptant de mauvaise figure d’autre autorité que celle contestable, du reste lourdement contestée, des brigands d’infortune portés, de crimes en cabales, jusqu’au trône de Pierre.

 Le temps est à la guerre, le mercenaire habile et audacieux se paie à prix d’or.

 Sans états d’âme excessifs Sampiero se donne au plus offrant.

 Très vite sa bravoure insensée et qui souvent fait oublier son astuce, cette manière un peu veule qu’il a de rechercher l’attention des puissants, le fait remarquer.

 A peine engagé, le voici qui attire l’œil rapace de Giovanni de Medici, dernier grand condottiere au service du lys rouge, amant des beaux arts dont il considère la guerre comme la forme ultime, pur produit en somme de cette Renaissance Florentine ou on assassine et versifie avec le même naturel.

 Seigneur adoubé, canaille avérée, le Medici aussitôt s’intéresse à la fortune de ce chien fou dont l’échine encore raide demande la main d’un maître autant pour la flatter que pour l’assouplir.

 Sous ses ordres, Sampiero combat les armées du Roy chevalier, lesquelles s’épuisent depuis Charles VIII à poursuivre une chimère Italienne qui à peine saisie se dérobe déjà.

 De faits d’armes en intrigues de palais, le jeune Corse ne tarde pas à obtenir le grade de capitaine des bandes noires de Florence avant que, dans un de ces retournements d’alliances aussi subits qu’inattendus dont l’époque n’est pas avare, son mentor ne choisisse de trahir les Lys écarlates de sa cité natale pour servir ceux immaculés du royaume de France.

 Coté Français, justement on ne peut que se féliciter de pareille recrue.

 Acharné, héroïque, le cuir tanné, le cœur encagé de Bronze, Sampiero se couvre de gloire;  gloire tonnante des armes, gloire chavirante de ceux qui bien en cour ne mettent plus de limites à leurs ambitions.

 Mais contrairement à celle de Bayard, légende de ce Siècle, qu’il côtoya sur les champs de bataille, la réussite du Corse n’est ni exemplaire ni complète.

 Trop retors pour les uns, trop susceptible pour les autres, il avale et recrache les couleuvres dans le même mouvement.

 On le craint plus qu’on ne le respecte et l’honneur dont on le pare en 1547 lorsque lui est attribué le grade de Colonel commandant l’ensemble des « bandes » Corses (2), ne changera rien à l’affaire, sa fortune que l’on dit colossale, sa morgue de « nouveau riche », ses « gasconnades » de coq de village, lui valent des rancunes d’autant plus exacerbées que deux ans auparavant, Sampiero la brute, Sampiero le disgracieux a épousé la plus belle fille d’une île ou la beauté fleurit avec la même insolence que le Ciste pourpre aux vivaces ombrelles insouciantes.

 

 

 L’amour à contrecœur.

 

 Unique héritière de François d’Ornano, fille de la Comtesse Franceschetta, petite fille de l’illustre Vincentello d’Istria, en somme ce qui se fait de mieux en matière de noblesse Corse, Giovannina – Vannina - d’Ornano n’a pas 15 ans lorsque Barbe Bleue demande sa main.

A un âge ou l’éternité est l’affaire d’une poignée de secondes , ou les petits mouvements d’impatience, les bouderies, les caprices demeurent encore charmants, ou le cœur s’émeut un peu vite, un peu fort à la lecture d’un quatrain bien tourné ou au passage de quelque freluquet dont le manteau se retrousse avec un air d’impertinence sur le fourreau d’une épée, la jeune fille devient l’objet de transactions que le plus pingre des marchands de tapis du grand Socco de Tunis eut trouvées mesquines.

 Car le mariage au XVIe Siècle s’entend au sens contractuel du terme, qu’il soit politique ou marchand. On dispose de sa progéniture comme on dispose de ses domaines, parfois on la vend avec à peine plus d’égard que de la volaille à l’étal d’un marché.

 De l’amour, ce ressort de théâtre, qui ne respecte pas plus les rites que les clans, il ne saurait être question.

 Sampiero eut pu dire comme Napoléon en son temps ; « j’épouse un ventre. », s’il n’avait eut le bon gout ou la vanité imbécile de choisir ce ventre à féconder parmi les plus ravissants.

 C’est qu’à 47 ans, âge canonique pour l’époque, blanchi sous le harnois, cousu de cicatrices, notre Sampiero sonne à contretemps, à contre courant et sans doute à contrecœur d’un idéal masculin, dégradé en sépia et Lila dans les rêves un peu lisses, un peu flous, un peu fluides des demoiselles en boutons.

 S’aimèrent-ils? Qu’importe? Du reste l’histoire ne le dit pas.

 On peut légitimement imaginer que Sampiero s’enivra de la beauté de Vannina comme il l’eût fait d’un vin fort tandis qu’elle, se laissait aimer avec cette indifférence un peu hautaine des petites filles bien nées lorsqu’elles oublient leurs rires et leurs babils pour jouer à la dame.

 Quoiqu’il en soit l’union du chêne sacré et de la nymphe nue, union couronnée par la naissance de quatre enfants – deux garçons et deux filles- revêt les apparences d’un mariage mondain ou les conventions et la bienséance donnent une aimable mascarade dont rien ne semble pouvoir troubler la rigide harmonie.

 Les jours coulent et les années.

 Incorrigible, il guerroie, désabusée elle s'ennuie. 

 Le ver, déjà est dans le fruit.

 

 Un Roy pour deux Reines.

 

 Coté Génois, le retour du guerrier sur sa terre natale ne cesse d’inquiéter.

 Riche, auréolé de prestige militaire, honoré par la cour de France, lié au clan le plus prestigieux de l’île, Sampiero le rebelle présente une menace tangible pour l’hégémonie Ligure.

 Soupçonné de sédition il est emprisonné mais très vite l’influence du Roy Henri II le fait libérer. Cette mésaventure aussi brève soit elle mettra le feu aux poudres d’un cœur ne demandant qu’à s’enflammer, d’autant que par dépit les Génois ont commis le crime suprême d’incendier la maison familiale de Bastelica.

 Pour un Corse – l’homme qui perd sa maison perd ses racines- cette dernière offense n’appelle nul pardon, ainsi, Sampiero emploiera t’il le restant de ses jours à libérer sa terre du joug Génois tout en lavant l’affront fait à son nom dans le sang du colon.

 Rentré à Paris, le Colonel n’a de cesse que de plaider sa cause auprès d’un Henri II au mieux indifférent, au pire vaguement ennuyé.

 Le fils de François 1er, n’est pas un grand Roy, à vrai dire sans la mort soudaine et mystérieuse(3) de son ainé, François de France, il n’eut probablement pas quitté les traverses de la petite histoire ou tant de princes, aimables et nonchalants se firent oublier de la grande.

 Plus féru de joutes et de galanterie que de politique, Henri II est un monarque fade et somme toute obtus dont le règne dépourvu d’ éclats fut passé inaperçu sans la présence à ses cotés non pas d’une mais de deux femmes d’exception.

 L’épouse d’abord, nièce des papes Léon X et Clément VII, érudite, humaniste et néoplatoniste, Florentine jusqu’au crime, Catherine de Médicis, animal politique à sang froid, se consume d’amour pour un mari qui ne daigne l’honorer que lorsque sa favorite le lui ordonne.

 La maitresse adulée, ensuite, cousine proche de la précédente, grande sénéchale de Normandie et Duchesse de Valentinois, nettement plus âgée qu’Henri et réputée dans toute l’Europe pour la perfection de sa beauté, Diane de Poitiers, fine et cultivée gouverne le Roy lorsqu’elle ne gouverne pas à la place du Roy.

 C’est de ces « deux Reines», unie par un étrange pacte de non agression, que Sampiero obtiendra les soutiens qu’il n’attend plus.

 En parfaite élève de Machiavel, Catherine voit dans les rêves d’indépendance du Corse l’occasion idéale de porter un rude coup à la République de Gènes dont la suprématie en Méditerranée fait de l’ombre à l’orgueilleuse Florence.

 Quant à Diane, elle comprend d’instinct l’importance économique et stratégique de cette île démarrée dont elle entend faire un rempart à l’hégémonie Espagnole.

 Reste à trouver une flotte alliée, habile et puissante puisque la marine Française au contraire de son infanterie brille par sa médiocrité.

 «A défaut de Grives on mange des merles» dit le proverbe.

 A défaut d’alliés Catholiques bon teint – les princes Espagnols et Germaniques n’ont aucun intérêt à débarrasser la Corse de l’occupant Génois- on se tourne vers le levant et le croissant Ottoman.

 Dire que cet accord contre nature scandalisa l’Europe entière relève d’un doux euphémisme tant il paraissait inconcevable que la France, fille ainée de l’église s’accordât au Grand Turc pour bouter hors d’une île à peine moins grande que l’ego d’un prince Borgia la très Chrétienne République Génoise.

En dépit des remous qui agitent les chancelleries, dés Août 1553, la déferlante Franco-Turque vient à bout de la résistance Ligure.

 Les villes de Bastia, de Corte, d’Ajaccio tombent. Bonifacio résiste un peu pour la forme avant de se rendre à son tour.

 Seule Calvi l’imprenable, Calvi la fidèle résistera à l’envahisseur au prix d’un siège meurtrier de six années.

 Si les chefs des différentes factions Corses rejoignent dans l’enthousiasme la bannière de Sampiero , il reste encore des forces Génoises sur l’île.

 Commandées par le vieil amiral Andréa Doria ces troupes faibles mais vaillantes recevront de l’Office de Saint Georges l’appui de la plus grande armée jamais déployée sur la terre Corse.

 Une à une les cités perdues sont reprises.

 Le Turc, conscient qu’il n’a rien à gagner dans ces chicanes Européennes quitte le combat. La France elle-même fatiguée de cette guerre d’usure dans laquelle ses troupes s’enlisent cherche un compromis lui permettant de sortir la tête haute de cette nasse nauséeuse.

 Ainsi la lassitude des uns, la ruine des autres conduiront elles Le 5 Février 1556, Henri II et Charles Quint à signer la trêve de Vaucelles, reconnaissant à la France la possession des trois évêchés – Toul, Metz et Verdun – celle de places fortes Luxembourgeoises et Flamandes ainsi que bien entendu celle de la Corse.

 Bon Prince ou parfait imbécile, le Roy de France propose aussitôt de restituer l’île à la République de Gènes, laquelle accepte avec condescendance de reprendre quelques bastions.

 Entre temps Sampiero a été écarté au profit de Giordanno Orsini vil opportuniste et fieffé coquin pour lequel la guérilla ne constitue qu’un moyen d’accroître sa fortune personnelle.

 Discrédité, craignant pour sa vie, le Colonel regagne le Royaume de France.

 

 

 Le temps des désillusions ou la fin de la Corse Française.

 

 Tant bien que mal et plutôt mal que bien, la France administrera la Corse jusqu’en 1559 avant que l’île ne retourne dans le giron Génois par le traité du Cateau-Cambrésis conclu le 3 Avril par les plénipotentiaires d’Henri II, Elizabeth Ière d’Angleterre et Philippe II d’Espagne.

De ce congrès de Vienne avant l’heure ressortent les contours d’une Europe nouvelle.

 Si les trois évêchés restent Français, en revanche le royaume des Lys se voit contraint de restituer le Duché de Savoie, le Charolais, le Bugey et la Bresse à Emmanuel-Philibert Duc de Savoie, le Marquisat de Montferrat au Duc de Mantoue et la Corse à la République de Gènes.

 De même les accords mettent fin à la Renaissance Italienne en assurant à la couronne Espagnole une domination indirecte sur la plus large partie de la péninsule.

 Plus qu’un échec politique, plus que la trahison d’un Roy qu’il a servi avec fidélité, Sampiero voit dans ce traité d’infamie un échec personnel.

 Pour faire passer la pilule, on nomme le vieux briscard gouverneur d’Aix en Provence aussi est ce à Marseille qu’il s’installe avec femme et enfants dés 1560.

 Hélas, administrer une Province aussi paisible que la riante Provence n’est pas au goût du bouillant Colonel.

 L’ennui et l’inaction le rendant amer, il brigue et obtient le poste d’ambassadeur extraordinaire auprès du grand Turc et du Dey d’Alger.

 Lorsque avant d’appareiller pour l’Empire Ottoman, il embrasse une dernière fois Vannina, il ne se doute pas qu’il ne la reverra que pour lui donner la mort.

 

 Sampiero, un Othello Corse.

 

Sampiero expédié aux rives du Bosphore, Gènes dont la rancœur s’avère au moins égale à celle que nourrit le Corse, complote afin de se débarrasser de son vieil ennemi.

 A défaut de pouvoir attaquer frontalement le géant en raison de ses hautes protections, on décide de s’en prendre plus sournoisement à son talon d’Achille, en l’occurrence la belle Vannina.

 Subtilement l’Office de Saint Georges introduit le loup dans la bergerie en la personne de l’abbé Michel-Ange Ombrone, espion à sa solde que Vannina, convaincue par les références irréprochables que le religieux produit, s’empresse d’engager en qualité de précepteur de ses enfants.

 Peu à peu, la dame se laisse gagner par le charme aussi suave que les sucs d’un lys empoisonné, du bellâtre.

 Car il est joli garçon ce petit abbé brun et doré avec ses longs yeux de fille, ses sourires soyeux et ses mains caressantes.

 Bovary avant la lettre, mal mariée, mal aimée, le cœur fou Vannina romance des amourettes comme elle brode des arabesques de jais sur la délicatesse chantante d’une soie rouge sang.

 Doucement elle vacille sur ses talons vertiges et si elle ne tombe pas c’est bien parce que son honneur d’aristocrate Corse lui tient encore lieu de dérisoire vertu.

 Gènes porte alors l’estocade en rependant dans toute l’Europe l’annonce de la mort de Sampiero, tué devant Constantinople.

 Enfin veuve, ou du moins persuadée de l’être, Vannina, loin de se sentir l’âme d’une Andromaque, multiplie les folies sans même remarquer que le sourire séducteur, triomphant et cynique de son suborneur fane déjà en rictus désenchanté.

 A cet amour qui ne se cherche pas de raisons puisqu’il les sait toutes mauvaises, elle sacrifie son honneur et ses biens, vendant ce qu’elle parvient à vendre, emportant ce qu’elle peut emporter, et c’est d’un pas que la hâte fait trébucher qu’elle s’embarque en compagnie d’Ombrone, non pour Cythère, mais pour cette Gènes magnanime qui offre à la « veuve » indigne un asile que lui refuse le trop bien pensant Royaume de France.

 Pour le plus grand malheur des fugitifs, Sampiero, plus insolent de santé que jamais, est informé de la trahison de sa bien-mal aimée. Sans perdre de temps le mari bafoué envoie ses sbires à la poursuite des amants. Leur frégate est arraisonnée dans la baie d’Antibes et si l’histoire ne dit pas ce qu’il advint de l’abbé Ombrone, Vannina est, elle, incarcérée dans le château de la ville.

 De sa prison, la jeune femme commet l’erreur fatale d’écrire aux dignitaires Génois une lettre plaidant sa cause.

 Ces quelques phrases désespérées suffiront à la perdre puisqu’elle se verra convaincue de haute trahison.

 Transférée à Marseille puis à Aix, Vannina embarrasse un parlement qui ne sait trop quoi faire de la jeune captive. Patiemment, on attend le retour du cocu courroucé, lequel débarque au débotté réclamant à hauts cris qu’on lui rende sa femme.

 Le parlement accède à sa requête mais à la condition qu’aucun mal ne soit fait à la ravissante pécheresse. Sampiero promet ce que l’on veut, mais à peine rendu sur ses terres, il oblige Vannina à rédiger un testament en sa faveur avant de la livrer au lacet de ses esclaves Turcs.

 Vannina blêmit à peine. Pour une Dame de son rang la mort ne saurait être une source d’effroi, à peine la regarde t’elle comme un funeste incident de parcours. Cependant, si elle accepte sans broncher la sentence, la jeune femme refuse de mourir de la main d’un esclave infidèle, aussi supplie-t-elle son mari de lui accorder la grâce de l’exécuter lui-même.

 Touché par tant de dignité, Sampiero embrasse sa femme, lui donne son pardon puis l’étrangle à mains nues.

 L’assassin fera à sa victime de grandioses funérailles, tandis qu’il se pare lui-même d’un deuil à la hauteur de son chagrin.

 A la cour, le crime du Corse émeut à peine.

 Seule Catherine de Médicis, plus pincée que jamais fait savoir qu’elle ne recevra plus ce bourreau.

Cette vertueuse indignation venant d’une femme pour qui l’assassinat est un acte politique aussi banal qu’une lettre de cachet, peut prêter à sourire, d’autant que la Florentine ne s’embarrassera guère de principes moraux lorsque Sampiero s’en viendra tout fringant lui proposer les délices d’une nouvelle aventure Corso Génoise .

 

 La dernière embuscade

 

A peine quelques mois après le meurtre de Vannina, Sampiero débarque sur l’île de beauté flanqué d’un petit contingent Corse et d’une poignée de mercenaires Gascons.

 En dépit de quelques victoires de moindre importance les troupes Franco Corsed se retrouvent rapidement isolées.

 Les temps ont changés, Gènes est parvenue à imposer une suprématie sans partage sur l’île, les principaux chefs de factions Corses se sont ralliés à la cause Ligure.

 Le rêve de Sampiero s’effondre comme chute une étoile.

 Dés lors le vieux lion vivra en proscrit sur une terre qui le rejette puis le traque lorsque

 la famille d’Ornano offre deux mille ducats à qui ramènera sa tête, récompense doublée par la République de Gènes .

 Réduit aux abois, Sampiero tombera finalement le 17 Janvier 1567 dans une embuscade tendue près d’Eccica -Suarella par les frères de Vannina (4).

 «Le plus Corse des Corses» avait 71 ans.

 Sa tête tranchée sera exposée des jours durant aux murs de la Citadelle d’Ajaccio.

 En dépit de cette fin ignominieuse Sampiero restera dans les mémoires.

 Mieux son histoire engendrera de nombreuses légendes, souvent extravagantes, parfois poétiques.

 Du reste, on prétend que ses funestes amours inspirèrent à Shakespeare la tragédie du maure de Venise.

 Bien plus tard son destin fut récupéré à des fins politiques tant par les partisans de la Corse Française, lesquels voyaient un lui le précurseur visionnaire du traité de Versailles, que par les Nationalistes qui en firent le premier Hérault de la Corse indépendante.

 Orgueilleux, ambitieux, héroïque et retors l’homme et son destin se révèlent suffisamment complexes pour permettre toutes les interprétations, toutes les extrapolations.

 Ainsi peut on légitimement se demander - et l’hypothèse n’apparait pas comme la moins vraisemblable - si, indifférent aux grands desseins du monde, Sampiero n’avait de toute son existence jamais défendu qu’une cause unique; la sienne propre.

 

 

N.D.A

 

 (1)

 

Selon certaines sources ses prises de positions précoces le contraignirent à l’exil.

 

(2)

C’est à cette occasion que selon la coutume du temps il prit le pseudonyme de « Corso ».

 

(3)

François de France mourut subitement après avoir bu un verre d’eau glacée au sortir d’une partie de jeu de paume. L’hypothèse de l’empoisonnement fut évoquée.

 

(4)

D’autres versions évoquent des cousins de Vannina.

 

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Une île et des ailes.
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